Du haut de ma citadelle céleste, frêle esquif de carbone largué
dans l’océan cosmique par un navire bleu pâle, je contemple le monde
endormi, l’esprit songeur. Autour de moi des paysages invisibles et
silencieux défilent à toute vitesse. Seul sous ma coupole de verre,
vitre contre vide, je n’ai pour toute chaleur que la lueur des étoiles.
Une goutte de lumière perle soudain sur le globe : le Soleil se lève,
pour la quatrième fois depuis mon éveil.
Les
élytres de silicium de mon radeau se tournent paresseusement vers
l’astre incandescent pour se gorger de son éclat. Le monde se réveille.
Alors, au milieu de cette danse subtile entre l’or et l’azur qui se joue
ici-bas, tu m’apparais enfin, à l’abri du néant sous ton voile d’azote
et d’oxygène. Grain de beauté à la surface du monde. Un frisson me
parcourt l’échine. Tu es plus rayonnante que jamais. D'instinct je sors
mon attirail. A travers les lentilles de ma machine à capturer les
instants, un fabuleux spectacle se révèle alors à mes yeux médusés. De
tes entrailles rocheuses coulent un feu liquide, partant de la plaie
ouverte de ton cœur flamboyant pour s'en aller avec peine rejoindre
l'océan, en filaments ensanglantés. Je reste sans voix face à ce combat
intense entre la roche liquide et l'eau.
Je
m'étais persuadé jadis que la gravité était le bonheur des imbéciles.
Mais désormais, ma course folle à travers le monde, en chute libre
perpétuelle, a t-elle encore un sens ? Je rêvais de découvrir les
étoiles, et pourtant c’est toi que j’ai découvert. Mon regard se perd
dans l’infini, et je m’imagine parcourant tes plages et tes cirques, tes
jungles luxuriantes et tes étendues désertiques, voyage astral sous le
ciel austral.
La voix chaude de Louis Armstrong
me sort un instant de mes rêveries. Les notes de « What a Wonderful
World » émergent des entrailles du vaisseau et résonnent dans l'espace
exigu. Le Centre de Contrôle n'aurait pu trouver de réveil plus
approprié. Il sera bientôt temps de reprendre les expériences. Mais je
m'accorde encore un instant pour réfléchir. Êtes-vous seulement si
différents, mon radeau et toi ? Je me suis renseigné sur ton histoire.
Sur ta culture. Sur ta communauté rassemblée par ses différences,
transcendant les nations, utopie révélée. Ce que j'ai lu sur toi, je
ne l'aurais cru possible ailleurs qu'ici. Une île-univers à la banlieue
d’un univers-île, figure de proue du vaisseau de l’Humanité.
Et
bien qu'il n'y ait personne pour l'entendre, je laisse échapper dans un
murmure le nom que l'on te donne. Comme pour me persuader que tu
existes. Ce nom qui te va si bien, qui résonne comme un défi lancé à la
face du monde, comme un parfum d’universel... ''Réunion''.
Sébastien Carassou, 11 Février 2014
Ce texte fera partie d'un recueil dont je ne peux rien vous dire pour l'instant, mais qui sera publié bientôt :)
English version:
At the top of my heavenly citadel, frail carbon skiff dropped in
the cosmic ocean by a pale blue ship, I gaze at the world asleep,
pensively. Around me invisible and silent landscapes spin at a cracking
pace. Alone under my dome, glass versus void, I have nothing but the
light of the stars to warm myself. Suddenly, a drop of light flows on
the globe: the Sun rises, for the fourth time today.
The silicon elytra of my raft spin lazily towards the incandescent star to stuff themselves with its light.
The world rises an shines. And then, in the middle of this subtle danse
between gold and azure here below, you finally appear before me, safe
from the emptiness by a veil of Nitrogen and Oxygen. A beauty spot on
the surface of the world. A shiver of delight runs through my spine. You
are more radiant than ever. By instinct I get my things. Suddenly,
through the lenses of my moment capturing machine, a breathtaking
spectacle happens before me. From your rocky bowels flows a liquid fire,
leaving the open wound of your blazing heart and striving to join the
ocean, in long bleeding filaments. In front of this intense battle
between liquid rock and water, I am speechless.
I
used to persuade myself that gravity was the resort of fools. But does
this rat race around the world, in a perpetual free fall, still makes
sense ? I wanted to reach the stars, but I found you instead. I gaze
into infinity and I see myself running running across your beaches and
your cirques, your luxuriant jungles and your arid plains, astral trip
under the austral sky.
The raspy voice of Louis
Armstrong gets me out of my daydream for a moment. The melody of « What a
wonderful world » emerges from the guts of the ship and resonates in
the cramped space. Very appropriate, Control Center. Soon it will be
time to resume the experiments. But I allow myself yet a moment to
think. In the end, are you and my raft so different after all? I found
out about your history. About your culture. About your community,
gathered by its differences, transcending nations, a revealed utopia.
What I read about you, I didn't expect to find it anywhere else but
here. A universe island on the outskirts of an island universe, the
figurehead of Humanity's spaceship.
And even if there is
nobody to listen, I whisper the name you were given. As to convince
myself that you exist. A name that fits you so well, that resonates like
a challenge to the face of the world, like a universal scent.
''Reunion''.