La comète Lovejoy vue du Piton Maïdo (Ile de la Réunion) (PHOTO: Luc Perrot)
Je ne sais pas pourquoi, mais depuis quelques temps je me suis découvert une passion pour les interfaces entre poésie et astronomie. Je soupçonne vaguement la lecture de
la superbe anthologie de Jean Pierre Luminet, « les Poètes et l'univers », d'y être pour quelque chose. Enfin, ça ne devrait pas m'étonner autant. Après tout, le ciel inspire depuis toujours des poètes du monde entier, alors pourquoi les poètes ne pourraient-ils pas inspirer les astronomes ?
Du balcon de la maison où j'ai grandi, loin de la lumière dans laquelle baignent les grandes villes, il n'est pas rare d'apercevoir par temps clair un bout de ce voile diffus qui remplit le ciel et nous ramène tous les soirs à notre condition de mortel : la Voie Lactée. Je me suis rendu compte à quel point cette relation privilégiée avec le ciel nocturne était une chance lorsque j'ai emménagé dans la Capitale, où la nuit est souvent plus belle sous nos pieds qu'au dessus de nos têtes. Je me suis longtemps demandé (en vain) quel était le rapport de mes ancêtres plus ou moins directs avec le ciel et les phénomènes célestes.
Prenons les comètes par exemple. Pour de nombreuses cultures ancestrales, les apparitions imprévisibles et les mouvements erratiques des comètes faisaient d'elles tantôt des messages des dieux, tantôt les présages d'un futur désastre. Mais qu'en est-il de ma culture à moi ? Mon pays natal, l'île de la Réunion,
petit bout de paradis perdu dans l'Océan Indien sur laquelle j'écris
ces ligne, est une terre constellée de légendes, de croyances et de superstitions. Quelles histoires se racontait-on autour d'un feu de bois, sous la lueur rassurante d'une nuit claire ? Comment les réunionnais "lontan" réagissaient-ils à l'approche d'une comète ? D'une éclipse ? Vous comprendrez ma joie quand j'ai
découvert, au hasard d'une bibliothèque d'hôtel, un poème créole daté de 1948 qui répondait à toutes ces questions ! Une perle aussi rare que précieuse, je
ne pouvais pas ne pas la partager...
PS : en bonus pour les « zoreils »* et autres non créolophones
qui me lisent, une traduction de votre serviteur (qui vaut ce qu'elle vaut) pour vous aider à
déchiffrer ce poème...
*Français de métropole
Z'astronomie
Avec département
Nous l'est en progrès
N'importe comment
Et à peu d'frais
Nous l'a vu l'eclipse
L'aut'jour
La lune la tire son jipe
Soleil l'a tourne autour
Pou zaut embrassé
La voulu teind' la lampe
Mais l'a pas fait
A cause premier novembre
Qu'ecq'jours après
Sans tambours ni trompettes
La haut l'a expédié
Quo ça ? Un comète.
Mon frère té y fait peur
Ce gros étoile
Su coup de quatre heures
Avec son queue moulale !
Un peu di com'ça
La fin du mounde
Partage ç'aq nana
Avec malheureux.
Pêcheurs y trouvent
Ça un bon signe :
Y faut cale vouve
Pou bichique et chevaquine
Le plus joli
C'est band vieux filles
Qui regrette la vie
Sans connaître un mari
Z'aut l'a fait in promesse
Avec tout le prêtre
Y demande la messe
Pou fait court la comète.
Arnest
23 Novembre 1948
L'astronomie
Avec le département
Nous sommes en progrès
N'importe comment
Et à peu de frais
Nous avons vu l’éclipse
L'autre jour
La lune a retiré sa jupe
Le Soleil lui a tourné autour
Pour s'embrasser
Ils ont voulu éteindre la lampe
Mais ils ne l'ont pas fait
A cause du premier Novembre
Quelques jours après
Sans tambours ni trompettes
Le Ciel a expédié
Quoi ? Une comète.
Mon frère, elle faisait peur
Cette grosse étoile
Sur le coup de quatre heure
Avec sa queue poussiéreuse
Certains disent
Que c'est la fin du monde
Partagez ce que vous possédez
Avec les malheureux
Les pêcheurs trouvent
Que c'est plutôt bon signe
Il faut étendre les filets
Pour attraper bichiques et chevaquines
Le plus joli
Ce sont les vieilles filles
Qui regrettent d'avoir passé la vie
Sans connaître de mari
Elles ont fait une promesse
Avec tous les prêtres
Elles demandent une messe
Pour faire partir la comète.
Arnest
23 Novembre 1948
A travers le regard du poète, c'est tout un pan de l'histoire des réunionnais qui se dévoile. Mais pas que ! Car une rapide recherche autour de la date de l’œuvre a révélé que la comète en question a bel et bien existé ! Il s'agit en effet de la bien nommée "Comète de l'éclipse", aussi appelée la grande comète de 1948. Le 1er Novembre 1948, lors d'une éclipse totale du Soleil, celle-ci passait au plus près du Soleil, devenant ainsi aussi visible que Mars à l’œil nu. Sacrée nuit pour les astronomes amateurs de l'époque ! On ne peut que comprendre la confusion des gens, souvent mal informés sur ce qui se rapporte au ciel, à la suite d'une telle coïncidence cosmique. Car au final, une comète, c'est quoi ?
Une comète est une boule de neige sale, un agglomérat de poussières et de glace, pris au piège dans sa course aux confins du système solaire par la gravité du Soleil. On dit qu'elles proviendraient de vastes réservoir situés au delà de Neptune, à une distance comprise entre 30 et 150 000 fois la distance entre la Terre et le Soleil. En s'approchant de notre étoile, la glace à leur surface se sublime (passe de l'état solide à l'état gazeux), formant autour d'elles un halo de gaz et de poussière qu'on appelle leur chevelure. Au fil des temps, deux queues se dessinent. L'une, d'une belle couleur bleutée, est constituée d'atomes ionisés et, à la merci des vents solaires, pointe systématiquement la direction opposée au Soleil. La plus grande est surtout constituée gaz et de poussières, et peut s'étendre sur plusieurs dizaines de millions de kilomètres !
Ces objets sont d'une importance capitale pour étudier l'histoire de notre système solaire, car leur composition est restée inchangée depuis le début de celle-ci, il y a près de 4.5 milliards d'années. Je ne peux d'ailleurs pas vous parler de comète sans vous parler des dernières nouvelles du périple de la sonde Rosetta, la sonde de l'Agence Spatiale Européenne lancée en 2004 à destination de la comète 67P dans le but de poser pour la première fois de l'Histoire un atterrisseur à sa surface. A l'heure où je vous parle, Rosetta
continue de s'approcher inexorablement de sa cible et devrait atteindre sa destination d'ici la semaine prochaine, dans ce qui devrait constituer la série à suspense de l'été tant la mission est risquée ! Les dernières images datées du 29 Juillet dernier, à moins de 2000 km de distance de la comète, révèlent une étrange forme de bottine ainsi qu'une surface grumeleuse et peu cratérisée.
Crédits : ESA
Quant à la comète de l’éclipse, son prochain passage près de chez nous est prévu dans un peu moins de... 85000 ans. Je me demande bien quels genres de poèmes accompagneront son arrivée...
''La Terre, cette concentrique, a pour voisine une étrange et vague cousine,
que dans la famille on nomme Mars l’excentrique.
Pendant que la Terre tectonise, sur la Rouge il fait froid,
et pendant que Mars se frise, sur la Terre on aboie.
Il suffirait qu'un volcan se réveille pour que jaillisse la vie,
tatatatata rime en "i",
pourtant nous avons le même Soleil.'' - Thomas Roche
"C'est une bonne situation ça, scribe ?"
"Vous savez, moi, tant qu'il s'agit de nourrir sa panse et de nourrir sa pensée, je ne pense pas qu'il y ait de bonnes ou de mauvaises situations..."
C'est dans cet état d'esprit et en tant que client régulier des bars et des sciences que je me suis rendu le 17 Juin dernier dans un café parisien afin d'assister aux traditionnels "Mardis de l'espace" organisés par le CNES, l'agence spatiale française. Un programme au titre alléchant ("Comprendre Mars pour comprendre la Terre"). Des intervenants extraordinaires composés de Francis Rocard, responsable du programme d'exploration du système solaire au CNES, et de Philippe Lognonné, sismologue et planétologue. Une équipe de choc de twittos de tous horizons. What else ? Résumé d'une soirée placée sous le signe de la planète rouge.
Deux planètes, deux destins
Mars, la Terre et Venus se sont certainement formés avec des matériaux très similaires #cnestweetup
— MyScienceWork (@MyScienceWork) 17 Juin 2014
Mars et la Terre se sont probablement formées à partir du même matériau, dans le disque de gaz et de poussières que constituait le système solaire primordial. Elles ont de plus des tailles et des distances au Soleil à peu près équivalentes. Pourtant, il suffit de jeter un œil à Mars pour se rendre compte qu'elle est très différente de la Terre : une planète recouverte par des étendues désertiques couleur rouille (et pas du tout Feng Shui), des températures qui oscillent entre 0 et -100°C, nulle trace de vie à sa surface... Pas vraiment le lieu de vacances idéal.
Tailles comparées de la Terre et Mars
Comment dans ce contexte expliquer ces disparités ? Le problème de Mars, nous explique Francis Rocard, c'est que Jupiter s'est formée avant cette dernière. Selon le scénario le plus accepté aujourd'hui concernant l'histoire de notre système solaire (qu'on appelle le modèle de Nice), celui-ci aurait connu des périodes de migrations planétaires assez intenses. En effet, à cause des forces de frottements du
gaz environnant, la jeune Jupiter en formation se serait progressivement approchée du Soleil dans une grande spirale, jusqu'à atteindre une distance de 3 à 4 fois la distance Terre-Soleil. Jupiter aurait pu en rester là, rejoignant la grande famille des "Jupiter chauds" qui constituent les 3/4 des planètes que l'on découvre dans tant de systèmes stellaires lointains. C'était sans compter l'arrivée en jeu de Saturne qui, par un jeu complexe de mécanique céleste, entra un beau jour en résonance d'orbite avec Jupiter. Lorsque Saturne faisait 2 tours autour du Soleil, Jupiter en faisait 3. Cet événement eut un effet remarquable sur le destin du système solaire : en l'espace de quelques millions d'années seulement, tous les astéroïdes du système solaire ont été violemment expulsés de leur orbite dans un immense jeu de billard dont les traces sont encore visibles aujourd'hui, et à l’œil nu s'il vous plaît ! Car les cratères de notre Lune sont les témoins immortels de cette période de "Grand Bombardement Tardif" qu'a connu le système solaire il y a 3.8 milliards d'années.
Ce miracle gravitationnel fit donc le ménage dans notre voisinage planétaire et eut même pour effet de faire "virer de bord" les deux planètes géantes : Jupiter et Saturne s'éloignèrent alors lentement du Soleil jusqu'à atteindre leurs orbites actuelles.
Une planète c’est une source chaude, la chaleur rayonne par la surface. Plus un corps est petit, plus vite il se refroidit. #CNEStweetup
— Ollivier Robert (@Keltounet) 17 Juin 2014
La grande victime de ce chamboulement cosmique, c'est la planète rouge.
Privée de sa nourriture rocheuse en plein développement, Mars n'a pas pu
grossir, et c'est là son drame. Car quand on est une planète, plus on est petit, et plus on se refroidit vite. C'est ainsi que la planète qui accueillait un immense océan d'eau liquide il y a de ça 4 milliards d'années (et, qui sait, peut être même de la vie ?) tarit prématurément la source de chaleur interne issue de sa formation. Les entrailles de Mars se figèrent à jamais, privant la planète de son champ magnétique, de ses volcans et de sa tectonique des plaques, propices à l'émergence de la vie. Sans effet de serre pour contenir sa chaleur, les océans de Mars se changèrent en glace, et sa surface en un désert hostile, à la merci des vents solaires et des rayons cosmiques dont la Terre nous protège fort heureusement (grâce à son champ magnétique). La planète rouge était devenue une planète morte.
La malédiction du sismomètre
Pour comprendre la structure interne de Mars et tenter de combler les trous dans notre compréhension de son histoire, envoyer un sismomètre sur place semble être la bonne idée du siècle. Comment se fait-il alors qu'en plus de 50 ans d'exploration martienne aucun sismomètre n'ait encore foulé le sol de la planète rouge ? Et bien en fait, relate Philippe Lognonné, c'était pas faute d'essayer. En 1975 furent envoyées les sondes Viking, les premiers atterrisseurs martiens de l'Histoire. Chacune de ces sondes avait à son bord un sismomètre, destiné (vous l'avez deviné) à étudier la sismicité de Mars. Des problèmes techniques ont fait que ces instruments n'ont pas été déployés au sol. Les résultats furent plutôt décevants : l'instrument de Viking 2 mesura les vibrations de l'atterrisseur sous le vent martien. Quant au sismomètre de Viking 1, il n'a jamais donné signe de vie. Mais les déboires sismométriques martiens ne s'arrêtèrent pas là ! Car en 1996, la Russie développa la sonde Mars 96. Ce projet ne cachait pas son ambition : avec ses 4 atterrisseurs, ses 2 sismomètres et ses 2 pénétrateurs destinés à analyser la composition chimique de l'aride planète, Mars 96 allait devenir le plus gros engin jamais lancé vers la planète rouge. Le destin en décida autrement. Car au moment du lancement de la sonde, le dernier étage de la fusée qui la transportait n'entama pas sa mise à feu comme prévu, entraînant la désintégration des instruments dans les hautes couches de l'atmosphère, ainsi que du cœur des scientifiques et ingénieurs qui y avaient dédié une bonne partie de leur carrière.
Mais qu'y cherche t-on précisément, sur Mars, au final, pour y dédier tant de ressources ?
Des sons, des ondes, des sondes
Quand une planète se refroidit, elle
se contracte, et cette contraction va générer des fractures, qui vont provoquer des séismes. À cet effet s'ajoute le fait que Mars se déforme à cause de l'attraction gravitationnelle du Soleil et de ses deux lunes, Phobos et
Deimos. Cette activité va nous permettre de remonter jusqu'à la structure interne de la planète, encore assez mal connue à l'heure actuelle !
On peut grossièrement assimiler celle-ci à la structure d'un fruit (non, pas à une banane !), avec son noyau, son manteau et sa croûte. Au centre d'une planète rocheuse se trouve généralement un noyau de Fer.
Sur Terre on sait par exemple que celui-ci se sépare en 2 parties : la partie externe, liquide, et la partie interne (la graine), solide. Par ailleurs, anecdotise Philippe Lognonné, on a découvert dans les années 2000 (et à la surprise générale) que le noyau de la Lune était liquide ! Quant à Mars ? On pense aujourd'hui que son noyau est liquide, mais on ne
sait pas encore s'il possède une graine. Autre incertitude que l'étude des séismes martiens va permettre d'éclairer, sa température interne. En effet, si les ondes sismiques se déplacent
vite, l'intérieur de la planète sera plutôt froid, et inversement.
Pour étudier les ondes sismiques de notre planète voisine, la NASA y envoie d'ici 2016 la sonde Insight
(Interior Exploration using Seismic
Investigations, Geodesy and Heat Transport), une table basse robotisée high tech dont la forme n'est pas sans rappeler une tête de Mickey. À son bord, 2 instruments principaux. Le premier est un sismomètre nommé SEIS (Seismic Experiment for Interior
Structure), développé en France (Cocorico !), protégé du vent martien par une cloche à fromage métallique et destiné à étudier les vibrations du sol.
Un sismomètre, c'est une petite masse attachée à un ressort dont on mesure les mouvements selon l'activité sismique #CNESTweetup
— Sébastien Carassou (@FlashCordon) 17 Juin 2014
Le deuxième instrument est un capteur de flux de chaleur, composé d'une tige de 5 m s'enfonçant dans les entrailles de Mars, et dont le but sera littéralement de prendre la température de celle-ci. Pourquoi 5 m me direz-vous ? Parce plus long c'est interdit par la loi ! En effet, une règle des Nations Unies protège Mars d'une invasion terrestre de plus de 5 m de profondeur, afin de ne pas gêner le développement d'une hypothétique forme de vie souterraine !
Le coût de la mission ? On l'estime à près de 400 millions de dollars. Oui, le spatial, c'est cher. Mais la portée de ces découvertes sur notre compréhension de la formation des planètes rocheuses est incalculable ! Et comme le dit si bien Francis Rocard, "je pense qu'on est un pays suffisamment
évolué pour s'occuper des problèmes de cette planète et aussi
aller voir s'il y a des tremblements sur Mars." A méditer.
Il était une fois un jeune garçon. C'était un garçon comme tant d'autres, rien ne le distinguait des autres garçons de son âge. A part peut être une toute petite chose : il était de loin le plus heureux de tous. Le visage éclairé d'un sourire permanent, sa bonhomie était telle que d'aucuns la trouvaient suspecte. Comment expliquer une telle euphorie dans un monde où la morosité était devenue la norme ?
La planète n'allait pourtant pas mieux, le climat continuait de se
dérégler, des espèces s'éteignaient chaque jour, et les hommes étaient
loin de vivre en harmonie avec quoi que ce soit. ''Quel est donc ton secret ?'' Lui demandèrent un jour ses amis. Le garçon les gratifia d'un sourire rayonnant, avant de déclarer ''Il y a de cela très longtemps, dans un pays lointain, j'eus un rêve : celui de soulever la grande jupe du monde pour en découvrir les dessous. D'étudier l'univers dans ses moindres recoins, et sous tous ses angles, afin de révéler la beauté qu'elle cache à l’œil profane. De reconstruire son histoire. De reconstruire notre histoire. Aider à percer le secret de nos origines, la révélation semblait si grande, qu'elle méritait que j'y consacre ma vie. Ce rêve s'est fait une toute petite place dans un coin de ma tête, attendant patiemment son heure. J'ai accueilli ce rêve. Je l'ai apprivoisé. Je l'ai nourri au fil des ans, des voyages, des lectures et des rencontres. Des années durant j'ai travaillé sans relâche dans le seul but de réifier cette pensée. Le chemin ne fut pas sans sacrifice, les moments de doute et les nuits perdues furent innombrables. Mais ce rêve était du genre tenace. Il avait élu pour domicile ce chaleureux petit coin de tête, et comptait bien y rester. Et si je souris aujourd'hui, c'est à ce petit garçon rêveur que j'étais jadis, et que je n'ai jamais cessé d'être Car aujourd'hui, ce rêve s'est réalisé. Et si je n'avais qu'une chose à vous apprendre C'est que les rêves d'un enfant paraissent moins futiles lorsqu'ils se réalisent. Laissez-leur donc une place, dans un coin de votre tête Donnez-leur une chance de pouvoir grandir, accrochez-vous à eux, accrochez-vous, Et peut être qu'un jour, sans crier gare, Il sera une fois.
C'est le secret du bonheur.''
Tout ça pour vous annoncer que plus de 10 ans après qu'il ait été
formulé, mon rêve de devenir astrophysicien s'est enfin accompli. Si
vous lisez ce message, c'est qu'il y a de grandes chances que vous m'y
avez aidé. D'une manière ou d'une autre. Que vous le sachiez ou non. Et
il n'existe pas de mots pour exprimer toute la gratitude que j'ai envers
vous. Pour ceux qui veulent plus de détails, je m'en vais
travailler à l'Institut d'Astrophysique de Paris sur l'évolution de la
forme des galaxies durant les 10 derniers milliards d'années de
l'histoire de l'univers. Un sujet qui s'annonce passionnant, et dont
j'espère vous faire part de mes découvertes. Pour les parisien(ne)s
qui me lisent, sachez qu'il y a de fortes chances que vous croisiez
encore ma tête dans les parages pendant ces 3 années de thèse. J'ai hâte de vous revoir.
"C'est une bien faible lumière qui nous vient du ciel étoilé. Que serait
pourtant la pensée humaine si nous ne pouvions pas percevoir ces
étoiles ?" - Jean Perrin
Il est deux choses au monde qu'il m'est très difficile de cacher en public : mon amour immodéré pour les pâtes au Pesto, et mon admiration sans borne pour la cosmologie, la science qui étudie l'univers dans sa globalité. Cette dernière ne cache pas son ambition : apporter des éléments de réponse à des questions aussi vieilles que l'Humanité elle-même. Quelle est la structure de l'univers ? Quelle est son histoire ? Est-il fini ou infini ? A t-il eu un début ? Aura t-il une fin ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? Quand est-ce qu'on mange (des pâtes au Pesto) ?
Pourtant, si le questionnement qu'elle apporte est intemporel, son arrivée dans le monde des sciences ne s'est faite que très récemment, à partir du siècle dernier ! Mieux encore, les vingts dernières années ont connu une véritable révolution dans notre connaissance de l'évolution de l'univers. On étudie la carte de la première lumière qu'il a émis, on trouve les traces gravitationnelles des premiers instants de son histoire... Nous sommes réellement entrés dans un âge d'or de la cosmologie. Mais je ne pense pas que vous saisissez encore à quel point. Car cet âge d'or se mesure non seulement à l'échelle de notre histoire, mais aussi à l'échelle de l'histoire même de l'univers ! (Si si)
Des premiers mythes de création du monde aux plus récentes avancées scientifiques, l'histoire de la cosmologie constitue sans doute le plus grand édifice intellectuel de tous les temps. Aujourd'hui je vous emmène à la découverte de cette histoire, dans une odyssée à travers nos conceptions de l'univers. Un voyage de plus de 100 milliards d'années au bout duquel nous attend une terrible question : et si ce bel édifice finissait par s'écrouler ?
Le temps des cosmogonies
"L'univers, c'est un livre, et des yeux qui le lisent." - Victor Hugo
L'univers n'est pas venu avec un mode d'emploi. Pour survivre à l'enfance de notre espèce nous avons du apprendre les règles qui le régissent, et transmettre ces règles de générations en générations. Le fait de nous raconter des histoires nous a certainement donné un avantage évolutif. Grâce à elles, nous pouvions visualiser mentalement des endroits parfaitement inconnus, en évaluer les dangers et en imaginer les trésors. Nous sommes donc passés maîtres dans l'art de conter.
Chaque culture a sa propre cosmogonie, sa propre histoire de la création du monde. Ces histoires nous rassurent. En tant que premières tentatives de réponse au grand mystère de l'ordre du monde, elles font échos à notre quête de sens perpétuelle, et nous permettent de mieux appréhender l'univers en considérant notre
place dans celui-ci. Pour certains, le monde a été créé en 7 jours par la volonté d'un Dieu tout puissant. Pour d'autres, il est issu d'un violent combat entre un super guerrier et un dragon à 3 têtes. Chaque conte est le reflet des valeurs des différentes sociétés humaines. Et il en existe des milliers, tous plus étonnants les uns que les autres. En parler de manière exhaustive mériterait tout un dossier...
Pour vous donner un exemple, j'ai choisi un conte que j'aime beaucoup, issus de l'une des cosmogonies chinoises. Cette histoire est très intéressante dans le sens où elle contraste énormément avec notre vision très occidentale qui place souvent l'Homme au centre du Tout.
Pan Gu : "Kaaaméé... Haaaamééé...HAAAAAA!"
L'histoire de Pan Gu est contemporaine de l'arrivée en Chine des premiers missionnaires bouddhistes, vers le 3e siècle après J.C. Connu de la majorité des chinois, ce conte est encore très vivant dans leur culture, et Pan Gu fait toujours l'objet d'un culte pour certaines minorités. Au cours des siècles, la légende de Pan Gu s'est transmise oralement, de villages en villages, au cours d'une scène qui devait ressembler à peu près à ça : imaginez vous dans un petit village chinois du 4e siècle après J.C. Au coin d'une rue, des enfant surexcités s'amassent autour d'un vieillard à l'air débonnaire. Celui-ci leur avait promis un fantastique récit, et ils ne seront pas déçus...
"Avant que le Monde ne soit Monde, l'univers n'était qu'un vaste chaos informe, où Ciel et Terre étaient mélangés dans un œuf cosmique, soumis aux forces du Yin et du Yang. Au centre de cet œuf, le géant Pan Gu dormait d'un sommeil profond. Après 18 000 ans de sommeil, Pan Gu se réveilla et se mit à ordonner le monde. D'un violent coup de hache, il brisa l’œuf en deux. Le Yin trouble se déposa alors pour former la Terre, et le Yang pur s'éleva pour former le Ciel.
Mais la Terre était encore fluide, et le Ciel était encore bas, si bien que pour les empêcher de se mêler à nouveau, Pan Gu se dressa pour porter le Ciel à bout de bras et enfoncer la Terre sous ses pieds. Et il se mit à grandir, grandir, éloignant Ciel et Terre de 3 mètres chaque jour ! Ce travail pénible se poursuivit encore pendant 18 000 ans. Le Ciel était déjà très haut, et la Terre très profonde. C'est alors que Pan Gu, épuisé, trébucha et s'écrasa sur le sol.
Le choc fut si violent que ses yeux furent projetés dans le ciel. Son œil droit devint le Soleil, et son œil gauche la Lune. Ainsi périt Pan Gu. Mais à sa mort, son corps se transforma. De son souffle naquit le vent. Sa voix devint tonnerre. De ses os jaillirent des montagnes, et son sang se répandit en rivières. Sa sueur se changea en pluie, et les poils de sa peau se transformèrent en forêts. Quant aux hommes, il furent issus de la vermine disséminée sur son corps."
Le temps de la philosophie naturelle
"Je ne connais que deux belles choses dans l'univers : le ciel étoilé sur nos têtes, et le sentiment du devoir dans nos cœurs." - Emmanuel Kant
Au fil des temps, les grands penseurs de l'humanité se rendent compte que s'ils veulent vraiment comprendre le monde qui les entoure, ils doivent s'éloigner des mythes "officiels" et se mettre à étudier le cosmos de manière rationnelle, raisonnée. C'est donc en 1731 que des millénaires de questionnements sur la nature et l'évolution de l'univers sont finalement regroupés dans un terme : la cosmologie. Mais ce prototype de science n'a pas encore la forme qu'on lui connaît à l'heure actuelle. La notion même de "scientifique" telle qu'on la conçoit n'apparaît vraiment qu'un siècle plus tard. Au 18e siècle, science et philosophie étaient encore les deux faces d'un même outil, et la cosmologie était une branche de ce que l'on appelait la philosophie naturelle.
A cette époque, un chasseur de comètes français, Charles Messier, s'amusait à répertorier tous les objets du ciel profond qu'il était capable d'observer et qui sortaient un peu de l'ordinaire, afin de ne pas les confondre avec l'arrivée d'une nouvelle comète. Il consigna ses trouvailles dans un grand catalogue, dont la version finale contenait plus de 100 objets. Dans ce catalogue, très prisé des astronomes amateurs du monde entier, on trouve des tas d'amas d'étoiles, ainsi qu'un grand nombre d'objets plus diffus et nébuleux en forme de spirale, comme celui-ci :
La "nébuleuse" M31 telle qu'elle devait apparaître à l'époque à travers un télescope. Une grosse tache floue dégueulasse. Mais qu'est ce que ça peut bien être...?
Comprenez bien, au 18e siècle, nous sommes dans un monde qui ignore encore tout de notre voisinage cosmique. Le Soleil est toujours au centre de l'univers. En Angleterre par exemple, le grand "kiff" de l'époque consiste à accorder astronomie et théologie. Pour le théologien William Whiston par exemple, l'Enfer se trouvait... Sur les comètes ! Les âmes damnées devaient ainsi rôtir vives à chaque fois que celles-ci s'approchaient du Soleil, et souffrir d'un froid glacial à mesure qu'elles s'en éloignaient. Charmant. Alors dans ce contexte, ces nébuleuses aux formes bizarres, on n'avait aucune idée de leur nature...
Arrive un philosophe allemand du nom d'Emmanuel Kant. Oui le même Kant du cours de philo de M. Pichon au lycée. La théorie de la Connaissance, tout ça.
Il se trouve que Kant s'est beaucoup intéressé à l'univers. Il était en particulier un grand fan d'Isaac Newton. Ce dernier, une centaine d'années auparavant, accomplissait le plus grand bond intellectuel de son époque en expliquant le mouvement des planètes grâce à sa théorie de la gravitation universelle. Mais Newton voyait le système solaire comme déconnecté du reste de l'univers, les étoiles étant selon lui bien trop loin pour agir en quoi que ce soit.
Kant a pour ambition d'étendre la philosophie naturelle de Newton au delà des limites que Newton lui-même s'était fixé. Il a alors 2 idées géniales, qu'il publie dans un livre intitulé "Histoire générale de la nature et théorie des cieux". Il se dit, "si les lois de la mécanique obligent les planètes à tourner autour du Soleil dans un plan, et si ces lois sont valables partout (ce que laisse sérieusement penser l'appellation de gravitation UNIVERSELLE), alors pourquoi le Soleil lui-même ne tournerait-il pas dans le plan d'un énorme disque en rotation, oh je ne sais pas moi, LA VOIE LACTÉE PAR EXEMPLE ?" Première idée géniale. Mais Kant va encore plus loin. Il se pose la question suivante : que verrait-on si l'on pouvait sortir de la Voie Lactée ? "Et bien", se dit-il, "ça dépendrait de l'angle auquel on la regarde ! Si on la regarde par la tranche, on verrait une sorte d'ellipse, un ballon de rugby quoi (Kant était connu pour être un grand supporter des All Blacks). Par contre si on la regarde de face, on verra plutôt quelque chose de circulaire, comme... Comme un cercle quoi. Tiens, c'est marrant, c'est exactement ce qu'on observe dans les taches floues dégueulas... Oh putain... Ça voudrait dire... MAIS OUI MAIS C'EST BIEN SUR ! Ça voudrait dire que les nébuleuses que l'on observe dans le
ciel sont d'autres assemblages d'étoiles en rotation autour d'autres centres que le centre de notre Galaxie ! D'autres univers..." Deuxième idée géniale.
Pourquoi géniale ? Parce que grâce à la théorie des "univers îles" de Kant, comme on l'a appelée par la suite, l'idée qu'il puisse exister d'autres mondes en dehors de notre Galaxie (sans intervention divine) est évoquée pour la première fois dans l'Histoire. Par la seule force du raisonnement. Sauf que... Sans moyen de vérifier de manière objective si son hypothèse est valide ou non, l'intuition visionnaire de Kant n'est rien de plus qu'une (très)
belle expérience de pensée. Sa théorie des univers-îles va ainsi sombrer partiellement dans le mépris
scientifique. Le fait que sa maison d'édition a fait faillite immédiatement
après la parution de son livre doit certainement y être pour quelque
chose...
Kant boude, parce qu'on ne croit pas à ses idées géniales. Il se vengera quelques centaines d'années plus tard sur vos sujets de philo au Bac.
Le temps de la cosmologie scientifique
"L'histoire de l'astronomie est une histoire d'horizons qui s'éloignent" - Edwin Hubble
Les idées de Kant vont néanmoins faire leur petit chemin, pour refaire surface deux siècles plus tard au début du 20e siècle, jusqu'à devenir une préoccupation majeure de la communauté astronomique. En 1920 aux États Unis éclata un grand débat, savamment nommé... "Le grand Débat", pour savoir si oui ou merde l'univers s'étendait au delà de la Voie Lactée ! En d'autres termes, est-ce que les nébuleuses spirales appartenaient à notre Galaxie ou pas ? Oui on en était encore là. En 1920.
"Mais qu'est ce qui les empêchait de résoudre cette question une bonne fois pour toute ? Il suffisait de trouver la distance de ces nébuleuses, non ?" Bonne remarque, intervenant imaginaire, sauf que les distances, dans l'univers, ça ne se calcule pas avec un double décimètre. Et à l'époque, on n'avait aucune méthode assez précise pour les déterminer, ce qui était assez embarrassant. Jusqu'à ce qu'arrive Henrietta Leavitt à la rescousse.
Pauvre Henrietta Leavitt. Pas reconnue de son vivant, encore moins après sa mort, elle a pourtant eu un impact considérable sur notre compréhension de l'univers. Atteinte de surdité permanente à l'âge de 25 ans, elle se réfugia dans le silence éternel de ces espaces infinis et trouva un travail à l'observatoire de Harvard. Pas en tant qu'astronome, non, mais en tant que... Calculatrice.
Il faut bien se rendre compte que le monde de l'astronomie du début du 20e siècle était encore très hostile aux femmes et ces dernières n'étaient pas autorisées à toucher aux télescopes. A Harvard, le directeur de l'observatoire de l'époque, Edward Pickering, était persuadé que leur cerveau inférieur les destinait aux travaux répétitifs. Il avait donc pris l'habitude de ne recruter que des femmes dans son laboratoire afin d'effectuer ses taches ingrates. Et comme il les payait 2 fois moins cher que des hommes à travail égal, il pouvait donc en recruter 2 fois plus, ce qui avait valu à son laboratoire le surnom peu flatteur de "Harem de Pickering".
Une immonde raclure se cache dans cette image. Sauras-tu la retrouver ?
Travaillant gratuitement pendant près de 7 ans, Leavitt fut chargée de décortiquer des milliers de plaques photographiques pour déterminer la luminosité des étoiles dans les images astronomiques. Une classe d'étoiles variables, les Céphéides, l'intriguait particulièrement. Contrairement au Soleil dont la luminosité est constante, celles-ci émettent une lumière pulsée, de manière très régulière, de véritables phares cosmiques. En fait, la passion de Leavitt pour ces étoiles l'amena à faire une découverte fondamentale à leur sujet : plus ces étoiles étaient brillantes, plus leur période (le temps moyen entre 2 pics de lumière) était grande, selon une loi mathématique ! Il suffisait donc de connaître la luminosité de quelques étoiles de référence proches dont on connaissait la distance pour en déduire la distance de toutes les autres, en déterminant leur période !
La découverte de Leavitt allait changer le cours de l'Histoire. On avait à présent un moyen de connaître les distances des étoiles lointaines avec une précision inégalée. Sa méthode était si précise qu'elle fonctionnait même sur ces drôles de nébuleuses spirales...
Elle permit en particulier à un astronome américain, Edwin Hubble (oui, comme le télescope), de calculer pour la première fois en 1924 la distance entre la galaxie d'Andromède et la galaxie du Tryangle Triangle. Et celle-ci se révéla être beaucoup plus grande que la taille de la Voie Lactée ! Le grand débat était alors clos. Les "nébuleuses" spirales étaient bien des univers-îles après tout. Des galaxies à part entière. A la stupeur du monde entier, l'univers était bien plus vaste et plus complexe que l'on ne l'imaginait jusqu'alors. Gardez bien ça en tête : nous savons de manière sûre que notre univers
contient d'autres galaxies que la nôtre depuis moins de 100 ans. Et on
estime aujourd'hui leur nombre à plusieurs centaines de milliards.
Autant vous dire qu'on a fait du chemin.
Mais Hubble ne s'arrêta pas là ! Depuis l'observatoire du Mont Wilson à Los Angeles, le plus grand observatoire de l'époque, Hubble étudia la distance et la vitesse d'un grand nombre de galaxies lointaines, et remarqua alors quelque chose d'étrange... Plus ces galaxies étaient loin, plus elles rougissaient ! Bizarre n'est-ce pas ? En fait, ce phénomène est l'analogue lumineux
du *NIIIIIIIIIION* que fait une voiture en passant près de vous, et s'interprète de la manière suivante : si une galaxie s'éloigne de nous, sa signature lumineuse sera
légèrement décalée vers le rouge. A l'inverse, si elle s'approche de
nous, elle sera décalée vers le bleu.
Cet effet nous renseigne donc sur la vitesse d'éloignement ou de rapprochement des galaxies par rapport à nous. Hubble en déduisit donc que plus les galaxies étaient loin, et plus elles semblaient s'éloigner de nous rapidement ! Cette révélation a un effet retentissant. Ce qu'Hubble venait de découvrir, ce n'était rien de moins que l'expansion de l'univers !
"Mais alors, si toutes les galaxies s'éloignent de nous, ça veut dire qu'on est au centre de l'univers, c'est ça ?" Bien essayé, troll créationniste imaginaire, mais ce n'est pas vraiment ça. Car ces galaxies lointaines ne s'éloignent pas de nous en particulier, elles s'éloignent les unes des autres, comme des points à la surface d'un
ballon qui enfle.
Grâce aux observations de Hubble, l'univers n'était plus statique et éternel. Il avait acquis une histoire. En repassant le film de l'expansion à l'envers, on assiste au lent rapprochement des galaxies entre elles, jusqu'à ce qu'elles se rassemblent toutes en un même point imaginaire. Et grâce au cadre mathématique imposé par la théorie de la Relativité Générale d'un certain Einstein, qui décrit l'espace et le temps comme une grille à 4 dimensions qui peut se courber à l'envi en présence de matière, on peut ainsi remonter à l'âge de l'univers observable.
Ainsi, avec l'avènement d'outils techniques et mathématiques nécessaire pour appréhender le cosmos de manière rigoureuse, la cosmologie était définitivement entrée dans le monde des sciences modernes.
Le Big Bang, notre cosmogonie
Our whole universe was in a hot dense state, Then nearly fourteen billion years ago expansion started. Wait… - Barenaked Ladies, the Big Bang Theory
Pourtant, il faut bien avouer que la cosmologie possède un statut particulier par rapport à toutes les autres sciences. En étudiant le cosmos, conduire des expériences sur nos objets d'étude est... Un peu exclu. Difficile en effet d'agir directement sur une galaxie à des millions d'années lumières d'ici. Toutes les informations que nous avons de l'univers proviennent donc des observations que l'on en fait à l'aide de nos plus puissants télescopes. Mais ce qu'il y a de plus paradoxal, c'est que nous sommes dans notre objet d'étude : on étudie l'univers à l'intérieur de l'univers. Impossible de s'en extraire, puisque par définition l'univers englobe tout ce qui existe. Mais ce statut particulier n'a pas empêché à la cosmologie de faire des progrès spectaculaires dans la deuxième moitié du 20e siècle. Nous sommes aujourd'hui à même de reconstruire dans les grandes lignes l'histoire de l'univers. Notre histoire.
Et que nous révèle cette histoire ? Le modèle le plus accepté à l'heure actuelle nous dit qu'il y a environ 13.8 milliards d'années, l'univers était incroyablement chaud et dense, et sous l'impulsion d'une force encore inexpliquée elle a connu une phase d'expansion d'une violence inouïe : la Big Bang. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, cette expansion n'est pas partie d'un point central, ce n'est pas une explosion DANS l'espace, mais DE l'espace. Le Big Bang a eu lieu aussi bien dans votre chambre où vous lisez ces
lignes, que sur une planète inconnue d'une galaxie lointaine. Une explosion du tout, partout à la fois, au même moment. Pendant cette phase d'expansion, l'univers s'est refroidi, ce qui a permis l'apparition des 2 premiers éléments, l'Hydrogène et l'Hélium. Notre jeune univers était alors remarquablement homogène : où que l'on ait regardé, et dans n'importe quelle direction, on aurait vu partout la même chose. Mais dans ce brouillard indistinct, de minuscules surdensités de matière se formèrent et se mirent à grandir. Plus ces blobs de matière étaient massifs, plus ils attiraient la matière autour d'eux. Au fil du temps la matière s'organisa en vastes filaments reliés dans une immense toile d'araignée cosmique aux nœuds desquels se formèrent galaxies et amas de galaxies.
Et Paf ! Ça fait des Chocapics !
Le Côté Obscur a vaincu
"D'après une théorie, le jour où quelqu'un
découvrira exactement à quoi sert l'Univers et pourquoi il est là, ledit
Univers disparaîtra sur-le-champ pour se voir remplacé par quelque
chose de considérablement plus inexplicable et bizarre. Selon une autre
théorie, la chose se serait en fait déjà produite." - Douglas Adams
Alors ça y est ? La véritable histoire de l'univers est enfin révélée dans un tout cohérent, et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Et bien pas vraiment... Car en 1998, une découverte majeure va bouleverser tout ce qu'on croyait connaître de l'univers. En étudiant des explosions violentes d'étoiles en fin de vie qui ont eu lieu il y a très longtemps, dans des galaxies lointaines, très lointaines, un groupe international d'astrophysiciens découvre avec stupeur que celles-ci sont moins brillantes, et donc plus éloignées que prévues !
Les étoiles massives sont censées toutes exploser de la même manière, et donc la quantité de lumière que l'on reçoit de ces explosions nous renseigne directement sur leur distance par rapport à nous. Conclusion ? L'univers est non seulement en expansion, mais depuis 5 milliards d'années cette expansion s'est accélérée sans aucune raison apparente !
Énorme choc dans la communauté scientifique. On décerne un prix Nobel à l'équipe de chercheurs qui a dirigé ces recherches. Pour expliquer cet incroyable phénomène, on invoque à tour de bras un mystérieux fluide antigravitationnel aux propriétés invraisemblables, une caractéristique encore inconnue de l'espace-temps, l'énergie du vide, le retour de Raptor Jésus, la montée du FN... La vérité, c'est qu'on n'en sait encore rien. A ce jour, l'énigme de l'énergie noire comme on l'appelle reste l'une des questions les plus intrigantes de la science moderne. Tout ce qu'on sait, c'est que l'univers est actuellement dominé par le
Côté Obscur...
Chroniques de la fin d'un monde
Some say the world will end in fire,
Some say in ice.
From what I’ve tasted of desire
I hold with those who favor fire.
But if it had to perish twice,
I think I know enough of hate
To say that for destruction ice
Is also great
And would suffice. - Robert Frost
Allons encore plus loin. Imaginons un instant que l'univers continue à s'étendre de manière accélérée au même rythme qu'à l'heure actuelle. Ce qui est une grosse hypothèse, vu qu'on ne connaît toujours pas la nature et le comportement de cette énergie noire. Mais si l'on s'adonne à ce genre de prospective, le futur de l'univers semble plutôt sombre. Sans mauvais jeu de mots.
Tout d'abord une petite précision, pour le mec du fond que je vois paniquer. Non les atomes qui composent ton corps ne vont pas finir par subitement exploser dans une violente accélération de l'expansion de l'univers. Reprends toi enfin.
Le mec du fond, tel qu'il s'imagine dans quelques milliards d'années
Car les effets de l'énergie noire ne se manifestent pas à notre échelle. Ni même à l'échelle de notre Galaxie. Ni même à l'échelle du Groupe Local, constitué par la quarantaine de galaxies les plus proches de nous. Jusque là, la gravité de ces systèmes l'emporte et l'emportera toujours sur l'expansion accélérée. Mais quand on commence à regarder un peu plus loin...
Le Groupe Local, notre voisinage cosmique (pas à l'échelle)
Il existe en effet une distance au delà de laquelle l'accélération de l'expansion de l'univers est telle que le tissu même
de l'espace temps qui entraîne les galaxies s'étend plus rapidement que la
lumière. L'espace-temps est en effet le seul objet physique capable de briser la limite de vitesse universelle. Cette distance définit donc notre horizon cosmologique. Et si un allumeur de réverbère habitant une galaxie hors de notre horizon nous envoie un signal lumineux aujourd'hui même, nous ne recevrons jamais son message, de même qu'aucun message que nous lui enverrons ne pourra l'atteindre. De cette galaxie nous ne verrons que la lumière qui a été émise avant qu'elle n'ait dépassé l'horizon. Nous serons séparés à jamais par l'univers en expansion.
Et si l'énergie noire continue son rôle d'accélérateur cosmique, dans 100 milliards d'années toutes les
galaxies au delà de notre voisinage proche nous apparaîtront figées dans le passé, splendides instantanés d'un temps reculé, avant de s'éteindre lentement dans la nuit, car même leur lumière ne pourra rattraper la course folle de l'espace-temps accéléré. Pas très réjouissant donc...
En revanche, le futur de notre univers proche ne va pas manquer d'action. Car j'ai le plaisir de vous annoncer que la Galaxie d'Andromède fonce actuellement droit vers nous à une vitesse de 100 kilomètres par seconde !
M31, la galaxie d'Andromède, photographiée par le télescope spatial Hubble. Vous vous rappelez la tache floue dégueulasse ? C'est elle.
C'est aujourd'hui une certitude, la collision est inévitable et devrait se produire dans environ... 4 milliards d'années. Ce qui nous laisse tout le temps de nous taper au moins 15 rediffusions de l'intégrale de Naruto. Ou 3 débats politiques sur La Chaîne Parlementaire. Au choix.
Ce véritable choc des Titans devrait ressembler à quelque chose comme ça :
Le résultat de ce gigantesque ballet cosmique ? Milkomède. Une énorme galaxie résultant de la fusion de nos deux galaxies, gigantesque ellipse de gaz et d'étoiles aux mouvements désordonnés. C'est le prix à payer de cette collision : chaque galaxie va devoir dire adieu à sa superbe structure spiralée. Ce genre d'événements est d'ailleurs assez commun dans l'univers, et on pense qu'il explique l'origine d'une bonne partie des galaxies elliptiques que nous observons.
Mais que deviendra le Soleil dans ce grand chamboulement ? Pas de panique ! Les deux galaxies sont assez grandes et diffuses pour que la probabilité de collision avec une autre étoile soit ridiculement faible. Des simulations ont montré qu'il sera probablement gentiment éjecté dans la bordure externe de cette nouvelle galaxie. On devrait avoir une belle vue sur le spectacle extraordinaire qui s'offrira à nous...
A terme, Milkomède finira donc par être la seule galaxie visible par les astronomes du futur, dans un univers figé dans le temps...
Que seront-ils, ces astronomes du futur ? Impossible à savoir. Mais il y a fort à penser qu'ils seront certainement aussi différents de nous que nous ne le sommes des premières bactéries.
Où seront-ils ? Certainement pas sur Terre. Celle-ci périra carbonisée dans 5 ou 6 milliards d'années, victime des caprices du Soleil agonisant. Ce dernier, ayant épuisé son carburant d'hydrogène et d'hélium, enflera jusqu'à atteindre plus de 2 fois sa taille actuelle. Seules les parties externes du système solaire seront alors habitables. D'ici 100 milliards d'années, notre Soleil sera mort depuis bien longtemps. Seules lui survivront les étoiles de faible masse, à l'espérance de vie plus élevée car brûlant leur hydrogène beaucoup plus lentement.
Si nos descendants ont eu le bon sens de trouver un autre système solaire comme refuge d'ici là, et si les archives scientifiques de notre époque (conservées par je ne sais quel miracle) sont redécouvertes par des archéologues du futur, qui pourrait encore croire aux élucubrations d'une bande de primates primitifs qui divaguaient sur un univers en expansion ? Comment remonter au concept même de Big Bang quand le seul univers que l'on connaisse est Milkomède, ce gigantesque œuf cosmique contenant plus de mille milliards d'étoiles ? La somme accumulée de nos connaissances tient à si peu de choses...
A moins que ces archives ne fassent office de textes sacrés, cosmogonie d'un peuple reculé mais élu, illuminé par un savoir antique jusqu'alors oublié. Verra-t-on naître un "culte du Big Bang" ? Je n'en sais rien. Il y a beaucoup de "si" dans tout ça. Mais dans un tel univers je conçois assez mal une civilisation bâtir une cosmologie aussi complexe que la nôtre. Quels chants seront dédiés à la nébuleuse
universelle ? Quels poèmes conteront la disparition des univers-îles ? Je les imagine levant leurs appendices sous un
ciel de braise, prisonniers arrogants d'un univers minuscule, piégés à
jamais dans une illusion d'éternité.
Tout cela me laisse songeur. Tout primates primitifs que nous sommes, nous vivons vraiment une époque formidable...
Sources :
Pan Gu
- Cyrille J.-D. Javary :La souplesse du dragon : http://tiny.cc/7igtex
Hubble et l'expansion de l'univers
- Big History Project, Threshold 1: The Big Bang: http://tiny.cc/12htex
- Joanne Baker : Juste assez d'astronomie pour briller en société : http://tiny.cc/aaitex
Mauvaise compréhension de la cosmologie
- Charles Lineweaver and Tamara Davis, Misconceptions about the Big Bang : http://tiny.cc/hditex
Henrietta Leavitt
- Scishow : Henrietta Leavitt & the Human Computers : http://tiny.cc/kjgtex
- Astro Club de Toussaint : Le cygne et le rat : http://tiny.cc/2jgtex
Kant et ses univers-îles
- Bernard Coly : L'idée d'univers de la science classique à la cosmologie moderne : http://tiny.cc/emgtex
Le futur de l'univers
- Abraham Loeb : The long term future of extragalactic astronomy : http://tiny.cc/rsgtex
- Abraham Loeb : "Acharit Hayamin", the future of our universe: http://tiny.cc/85htex
Certains collectionnent des timbres, d'autres font de la peinture à l'huile. Moi, mon hobby, c'est de faire des Livetweets des nombreuses conférences de vulgarisation scientifique auxquelles j'assiste. Parce qu'il n'y a aucune raison que vous ne puissiez pas en profiter aussi. Voici donc une sélection de mes diverses chroniques réalisées au cours des années 2013-2014. Bonne lecture !
Réchauffement climatique, du rapport du GIEC aux négociations internationales
Conférence de Jean Jouzel, climatologue, à l'observatoire de Meudon
David Elbaz: la formation des galaxies, ou l'univers en 3D
Conférence de l'astrophysicien David Elbaz, à l'occasion du festival des 2 infinis
Jean-Michel Alimi: La cosmologie a t-elle besoin d'une révolution ?
Jean Michel Alimi, cosmologiste, nous parle de l'état de la cosmologie actuelle dans le cadre du festival des 2 infinis
Les fondamentales du CNRS : les clefs du système Terre
Que saurions-nous du fonctionnement du climat sans la connaissance des interactions de l'atmosphère, l'hydrosphère et de la biosphère ? Mais le système Terre a commencé à livrer ses secrets. Chronique d'un débat animé
Les fondamentales du CNRS : L'écologie globale sauvera-t-elle le monde ?
La bonne santé humaine dépend de la bonne santé animale, elle-même tributaire de la bonne santé végétale, qui est liée à la qualité de l'environnement... L'écologie doit être pensée de manière globale...
Les Fondamentales du CNRS : La société bleue, nouvel horizon de la planète
Les océans recèlent les clefs nécessaires à la planète pour assurer son développement de manière durable. Rendez-vous dans cette « société bleue », que la communauté internationale appelle de ses vœux. Là où la nature a trouvé des solutions.
Les Fondamentales du CNRS : le cerveau, un organe subtil et cachottier
Le cerveau est un organe extrêmement subtil et très cachottier. Pourtant, la science avance… Alors quelles sont les récentes incroyables découvertes des chercheurs et que changent-elles ? Quelles sont les pistes les plus prometteuses pour « réparer » le cerveau quand il vient à défaillir ?
Les Fondamentales du CNRS : L'énigme de la matière et de l'énergie noires
Alors que les instruments n'ont jamais été aussi puissants, le mystère de la composition de l'Univers continue de tarauder les chercheurs. Qui résoudra l'énigme de la matière et de l'énergie noires ? La course entre les meilleures équipes internationale est engagée dans cet âge d'or de la cosmologie.
Les Fondamentales du CNRS : temps de la recherche, temps politique, temps médiatique
Temps de la recherche, temps politique et temps médiatique sont-ils compatibles ?
Les mardis de l'espace : Les briques de la vie viennent-elles de l'espace ?
Conversation avec Michel Viso, du CNES et trois chercheuses en exobiologie.
Les nouveaux enjeux de la Physique des 2 infinis
Résumé d'un débat scientifique publique à l'Institut Henri Poincaré entre Francis Bernardeau, Étienne Klein, Sandrine Laplace et Michel Spiro, animé par Sylvestre Huet, journaliste scientifique
Un nouveau scénario de formation des lunes de Saturne !
L’origine des lunes glacées de Saturne enfin dévoilée ! Saturne est une énigme à part entière dans le système solaire. Pourquoi est-ce la seule planète à avoir des anneaux aussi importants et comment expliquer l’accroissement régulier de la taille de ses satellites à mesure que l’on s’éloigne de celle-ci ? Une équipe internationale de chercheurs vient de proposer une nouvelle théorie pour expliquer la formation des lunes glacées qui entourent la planète Saturne.
Jérome Pérez : Les grandes hypothèses de l'astronomie et de l'astrophysique
Conférence donnée pour l'association étudiante d'astronomes amateur ALCOR à l'occasion de son cycle de conférences publiques, par Jérome Pérez, astrophysicien au Laboratoire Univers et Théories de l'Observatoire de Meudon et au Laboratoire Mathématiques appliquées de l'ENSTA.
Les mardis de l'espace : Piraterie, pêche et environnement en Indonésie
Pour protéger son patrimoine marin, l’Indonésie vient de faire appel à CLS, filiale du CNES, qui mettra en place, d’ici fin 2014, un centre d’océanographie spatiale.