La comète Lovejoy vue du Piton Maïdo (Ile de la Réunion) (PHOTO: Luc Perrot)
Je ne sais pas pourquoi, mais depuis quelques temps je me suis découvert une passion pour les interfaces entre poésie et astronomie. Je soupçonne vaguement la lecture de
la superbe anthologie de Jean Pierre Luminet, « les Poètes et l'univers », d'y être pour quelque chose. Enfin, ça ne devrait pas m'étonner autant. Après tout, le ciel inspire depuis toujours des poètes du monde entier, alors pourquoi les poètes ne pourraient-ils pas inspirer les astronomes ?
Du balcon de la maison où j'ai grandi, loin de la lumière dans laquelle baignent les grandes villes, il n'est pas rare d'apercevoir par temps clair un bout de ce voile diffus qui remplit le ciel et nous ramène tous les soirs à notre condition de mortel : la Voie Lactée. Je me suis rendu compte à quel point cette relation privilégiée avec le ciel nocturne était une chance lorsque j'ai emménagé dans la Capitale, où la nuit est souvent plus belle sous nos pieds qu'au dessus de nos têtes. Je me suis longtemps demandé (en vain) quel était le rapport de mes ancêtres plus ou moins directs avec le ciel et les phénomènes célestes.
Prenons les comètes par exemple. Pour de nombreuses cultures ancestrales, les apparitions imprévisibles et les mouvements erratiques des comètes faisaient d'elles tantôt des messages des dieux, tantôt les présages d'un futur désastre. Mais qu'en est-il de ma culture à moi ? Mon pays natal, l'île de la Réunion,
petit bout de paradis perdu dans l'Océan Indien sur laquelle j'écris
ces ligne, est une terre constellée de légendes, de croyances et de superstitions. Quelles histoires se racontait-on autour d'un feu de bois, sous la lueur rassurante d'une nuit claire ? Comment les réunionnais "lontan" réagissaient-ils à l'approche d'une comète ? D'une éclipse ? Vous comprendrez ma joie quand j'ai
découvert, au hasard d'une bibliothèque d'hôtel, un poème créole daté de 1948 qui répondait à toutes ces questions ! Une perle aussi rare que précieuse, je
ne pouvais pas ne pas la partager...
PS : en bonus pour les « zoreils »* et autres non créolophones
qui me lisent, une traduction de votre serviteur (qui vaut ce qu'elle vaut) pour vous aider à
déchiffrer ce poème...
*Français de métropole
Z'astronomie
Avec département
Nous l'est en progrès
N'importe comment
Et à peu d'frais
Nous l'a vu l'eclipse
L'aut'jour
La lune la tire son jipe
Soleil l'a tourne autour
Pou zaut embrassé
La voulu teind' la lampe
Mais l'a pas fait
A cause premier novembre
Qu'ecq'jours après
Sans tambours ni trompettes
La haut l'a expédié
Quo ça ? Un comète.
Mon frère té y fait peur
Ce gros étoile
Su coup de quatre heures
Avec son queue moulale !
Un peu di com'ça
La fin du mounde
Partage ç'aq nana
Avec malheureux.
Pêcheurs y trouvent
Ça un bon signe :
Y faut cale vouve
Pou bichique et chevaquine
Le plus joli
C'est band vieux filles
Qui regrette la vie
Sans connaître un mari
Z'aut l'a fait in promesse
Avec tout le prêtre
Y demande la messe
Pou fait court la comète.
Arnest
23 Novembre 1948
|
L'astronomie
Avec le département
Nous sommes en progrès
N'importe comment
Et à peu de frais
Nous avons vu l’éclipse
L'autre jour
La lune a retiré sa jupe
Le Soleil lui a tourné autour
Pour s'embrasser
Ils ont voulu éteindre la lampe
Mais ils ne l'ont pas fait
A cause du premier Novembre
Quelques jours après
Sans tambours ni trompettes
Le Ciel a expédié
Quoi ? Une comète.
Mon frère, elle faisait peur
Cette grosse étoile
Sur le coup de quatre heure
Avec sa queue poussiéreuse
Certains disent
Que c'est la fin du monde
Partagez ce que vous possédez
Avec les malheureux
Les pêcheurs trouvent
Que c'est plutôt bon signe
Il faut étendre les filets
Pour attraper bichiques et chevaquines
Le plus joli
Ce sont les vieilles filles
Qui regrettent d'avoir passé la vie
Sans connaître de mari
Elles ont fait une promesse
Avec tous les prêtres
Elles demandent une messe
Pour faire partir la comète.
Arnest
23 Novembre 1948
|
A travers le regard du poète, c'est tout un pan de l'histoire des réunionnais qui se dévoile. Mais pas que ! Car une rapide recherche autour de la date de l’œuvre a révélé que la comète en question a bel et bien existé ! Il s'agit en effet de la bien nommée "Comète de l'éclipse", aussi appelée la grande comète de 1948. Le 1er Novembre 1948, lors d'une éclipse totale du Soleil, celle-ci passait au plus près du Soleil, devenant ainsi aussi visible que Mars à l’œil nu. Sacrée nuit pour les astronomes amateurs de l'époque ! On ne peut que comprendre la confusion des gens, souvent mal informés sur ce qui se rapporte au ciel, à la suite d'une telle coïncidence cosmique. Car au final, une comète, c'est quoi ?
Une comète est une boule de neige sale, un agglomérat de poussières et de glace, pris au piège dans sa course aux confins du système solaire par la gravité du Soleil. On dit qu'elles proviendraient de vastes réservoir situés au delà de Neptune, à une distance comprise entre 30 et 150 000 fois la distance entre la Terre et le Soleil. En s'approchant de notre étoile, la glace à leur surface se sublime (passe de l'état solide à l'état gazeux), formant autour d'elles un halo de gaz et de poussière qu'on appelle leur chevelure. Au fil des temps, deux queues se dessinent. L'une, d'une belle couleur bleutée, est constituée d'atomes ionisés et, à la merci des vents solaires, pointe systématiquement la direction opposée au Soleil. La plus grande est surtout constituée gaz et de poussières, et peut s'étendre sur plusieurs dizaines de millions de kilomètres !
Ces objets sont d'une importance capitale pour étudier l'histoire de notre système solaire, car leur composition est restée inchangée depuis le début de celle-ci, il y a près de 4.5 milliards d'années. Je ne peux d'ailleurs pas vous parler de comète sans vous parler des dernières nouvelles du périple de la sonde Rosetta, la sonde de l'Agence Spatiale Européenne lancée en 2004 à destination de la comète 67P dans le but de poser pour la première fois de l'Histoire un atterrisseur à sa surface. A l'heure où je vous parle, Rosetta
continue de s'approcher inexorablement de sa cible et devrait atteindre sa destination d'ici la semaine prochaine, dans ce qui devrait constituer la série à suspense de l'été tant la mission est risquée ! Les dernières images datées du 29 Juillet dernier, à moins de 2000 km de distance de la comète, révèlent une étrange forme de bottine ainsi qu'une surface grumeleuse et peu cratérisée.
Quant à la comète de l’éclipse, son prochain passage près de chez nous est prévu dans un peu moins de... 85000 ans. Je me demande bien quels genres de poèmes accompagneront son arrivée...
Sources :
Vous avez une très belle écriture ! A quand un livre, roman, texte poétique ou autre ? sur les étoiles bien sûr :)
RépondreSupprimerMerci unfiniment Hélène, votre commentaire me touche beaucoup ! Un texte est en préparation en ce moment même, j'espère pouvoir le sortir avant la fin de l'année :) Je travaille aussi sur un projet de livre depuis près d'un an maintenant mais ça sera sur du plus long terme, vu que j'ai peu de temps à y consacrer et que je tiens à la qualité du texte. En tout cas vous serez tenus au courant sur ce blog ! ;)
RépondreSupprimerJe serai ravie de vous lire (en dehors de ce blog que je vais suivre bien sûr). tenez-nous au courant :)
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