Je ne traite pas souvent de films par ici. Notamment parce que tant d'autres le font bien mieux que moi. Mais il est des films dont je ne peux décemment pas taire l'existence. "La Glace Et Le Ciel", de Luc Jacquet, est l'un de ces films. J'ai eu l'honneur d'être convié à l'avant première il y a un mois (un grand merci à Lamia pour l'invitation !), et dire que ce documentaire m'a touché serait un doux euphémisme.
Luc Jacquet, dont vous connaissez peut être l'excellent "La Marche de
l'Empereur" ou plus récemment "Il Était Une Forêt", récidive en nous
entraînant dans un voyage à travers l'Antarctique, sur les traces du
glaciologue français Claude Lorius. Sur le continent de glace, où le temps semble s'être arrêté, l'Histoire du monde s'écrit, silencieusement, au fil des millénaires. C'est dans ce contexte qu'un jeune Lorius en mal d'aventure s'embarque pour un séjour d'un an sur une base française, la base Charcot. Ainsi débute le récit d'une vie, une vie dont l'histoire s'est mêlée à l'Histoire, avec un grand H, de
manière assez extraordinaire. Car ses découvertes vont changer à jamais notre rapport au monde qui nous entoure.
Au fil de ses recherches, Lorius découvre en effet que la
composition de la neige varie en fonction de la température à laquelle
elle se forme. Une découverte majeure puisqu'elle va permettre de
mesurer les températures du passé de la Terre sur des dizaines de
milliers d'années. Mais il ne s'arrête pas là : car la glace permet
aussi de tracer la composition de l'atmosphère, grâce à de petites
bulles d'air emprisonnées jusque là dans les carottes. Chaque couche de glace devient ainsi une page qui s'ouvre sur l'Histoire du Monde. Et la révélation est de taille. Parce que
ce que l'analyse de ces échantillons va mettre à jour, ce n'est ni plus
ni moins que le changement climatique, ainsi que la preuve irrévocable
du rôle de l'Homme dans cette modification.
Le
constat n'est pas brillant. De nos rejets de CO2 à nos essais
nucléaires, les traces de notre activité se dessinent dans la glace.
Indélébiles. A partir de là, Lorius va consacrer sa vie à lutter pour
une prise de conscience mondiale de notre impact sur la planète. Souvent
sous le regard sceptique de ses contemporains. Mais si le film aurait
pu facilement tomber dans l'écueil du cynisme et de la culpabilisation,
il se termine néanmoins sur une note
d'espoir empreinte d'humanisme, un appel à la créativité, et surtout, à
l'action. Car comme le dit
Lorius lui-même, "l'Homme n'est jamais si sublimement lui-même que
devant l'adversité".
Côté vulgarisation, le film réussit l'exploit d'être assez rigoureux sur le plan
scientifique sans jamais se perdre dans le jargon technique, ce qui le
rend facilement accessible. Il fait de la science une histoire profondément humaine, d'une manière que j'ai rarement vue au cinéma. Les images de la base Vostok par exemple, l'un des endroits les plus reculés au monde, révèlent un lieu privilégié de collaboration internationale, où un sentiment de fraternité et de camaraderie transcende les frontières, en pleine guerre froide. Le tout est renforcé par des anecdotes insolites que je ne vais pas spoiler, mais qui vous feront certainement lever un sourcil ou deux.
Les images sont d'une beauté à couper le souffle. Je garderai longtemps en tête la vision de la base Charcot, baignée dans la lueur irréelle d'une aurore australe. S'en dégage un rendu viscéral et authentique, surtout quand on sait que ces images n'avaient pas pour vocation d'être diffusées un jour. On est loin des biofictions américaines à la "Imitation Game", romancées et dramatisées. Ici l'Histoire se déroule sous nos yeux, brute, avec le montage de Luc Jacquet comme seule liberté artistique (ainsi que quelques plans du Lorius d'aujourd'hui contemplant le monde, d'un air nostalgique).
Mais résumer ce film à son côté documentaire ne lui rendrait pas hommage. Car "La Glace Et Le Ciel" est plus qu'un documentaire. C'est un film d'aventure, une ode à la détermination et à l'inventivité de l'Homme. A travers le regard du glaciologue, Luc Jacquet nous ramène à une époque
où rien n'était impossible. Où l'Antarctique n'était connu que de quelques explorateurs, qui parfois y laissèrent leur vie. Mais aussi et surtout, c'est un hommage infiniment respectueux à la vie passionnante et passionnée de Claude Lorius. Une vie mue par le goût de l'effort et par l'amour de la glace, un amour partagé par le réalisateur, qui transpire tout au long du film.
Vous l'aurez compris, "La Glace Et Le Ciel" est un film important, que je vous encourage vivement à aller voir en salle. Vous en sortirez changés.
PS : Un programme pédagogique est né autour du film, sous la forme d'une fascinante histoire multimédia en scrollytelling, qui nous parle de glaciologie et de changement climatique. Un beau projet, tout en animations et en interviews, à consulter par ici : http://education.laglaceetleciel.com/.
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