Quantique... A la seule évocation de ce nom, je vois déjà des visages se figer et des yeux emplis de terreur à la recherche de la petite croix pour fermer cet onglet… Pourtant, le monde quantique (qui régit l'infiniment petit) recèle des phénomènes tout à fait extraordinaires qui défient profondément la perception intuitive que l'on a du monde qui nous entoure!
Mais tout d'abord il faut que je vous
parle de mon problème avec cet univers... Un problème qui me
dérange depuis tout petit déjà, et qui est en train de frôler
l'obsession : Ayant grandi entouré de générateurs hyperdrive
et autres moteurs à distorsion, JE HAIS LA VITESSE DE LA LUMIERE. Je
la hais d'une façon viscérale, cette célérité de 300 000
kilomètres par seconde, parce qu'elle brise (presque) toute
possibilité d'explorer l'univers à la manière d'un capitaine Kirk
ou d'un Han Solo. C'est bien simple : pour moi, la vitesse de la
lumière est beaucoup trop lente. Un souci qui ne se manifeste pas à
notre échelle, mais plutôt aux échelles astronomiques. Comme
l'écrivait le génial Douglas Adams,
« l'espace... est immense.
Vraiment immense. On n'a franchement pas idée de sa stupéfiante et
considérablement gigantesque immensité. Je veux dire qu'on peut
croire qu'en gros ça fait loin comme d'ici au bistrot du coin mais
en fait c'est de la gnognote comparé aux dimensions de l'espace. »
Et les premiers
concernés par les dimensions de l'espace, ce sont les astronautes! C'est
un réel problème quand on considère les distances mises en jeu
dans les missions d'explorations planétaires. Imaginez qu'un
intrépide colon martien décide d'envoyer un message à la vitesse
de la lumière à une station-relais terrestre. Celui-ci mettra entre
3 et 22 minutes pour traverser le vide interplanétaire, selon la
position de Mars ! Pas très pratique dans les situations
d'urgence. Et ne parlons même pas de communication interstellaire
avec d'hypothétiques extraterrestres...
Dans l'espace, une gastro peut vite tourner au drame...
Depuis, je cherche
inlassablement une manière de contourner cette limite de vitesse. Et
un beau jour je suis tombé par hasard sur ce phénomène tout à
fait étrange qui a captivé mon attention pendant un sacré bout de
temps, et qui se trouve être l'un des phénomènes les plus
hallucinants du monde subatomique : j'ai nommé... L'INTRICATION
QUANTIQUE.
Accrochez vous,
parce que ça va devenir un brin... Délicat.
La physique quantique pour les Nuls
« Quiconque n'est pas choqué
par la mécanique quantique ne la comprend pas » -Niels Bohr
Tout d'abord, si
vos connaissances en mécanique quantique se limitent à la saison 4
de Code Quantum, pas de panique! Il serait bon de commencer par
certaines notions clé que je me permets de rappeler ici...
Dans le monde de
tous les jours, on peut décrire toutes les propriétés et
l'évolution d'un système (par exemple une voiture, ou bien Justin
Bieber, ou bien les deux) à l'aide de plusieurs grandeurs physiques,
essentiellement sa position et sa vitesse. A notre échelle, le monde
est dit déterministe : Si on connaît la position et la
vitesse d'un point à un certain instant, on pourra deviner son état
à l'instant d'après. Jusque là tout va bien, vous concevez.
A partir de là,
décrire l'état quantique d'un système revient à déterminer les
probabilités d'avoir tel résultat lorsqu'on va effectuer une mesure
sur ce système (dans un domaine de résultats possibles).
Si vous ne
comprenez pas, c'est normal. Moi non plus...
Autre remarque
fondamentale: en mécanique quantique, la mesure affecte le système !
Réfléchissez-y un moment. Pour connaître l'état d'une particule,
il faut balancer de la lumière dessus. Sinon, c'est comme essayer de
lire un bouquin dans le noir. Comme la lumière est composée de
petits grains d'énergie appelés photons, ces grains, en cognant la
particule, vont forcément agir sur le système et le forcer à
prendre un état particulier alors qu'il était parfaitement
indéterminé avant ! Le terme technique à ce phénomène,
c'est la réduction du paquet d'onde. Troublant mais vérifié.
Dernier point, les
particules subatomiques, comme les électrons ou les photons
possèdent 3 propriétés fondamentales : leur masse, leur
charge et leur spin. Cette dernière est un peu particulière, parce
qu'elle n'a tout simplement pas d'équivalent à notre échelle. Vous
pouvez toujours vous imaginer le spin comme le « sens de
rotation » d'une particule, mais ça ne sera jamais vraiment
ça. Oui je vais vous laisser sur votre faim, parce que je ne veux
pas (et vous non plus) me perdre dans les maths. Retenez juste que
pour un électron, le spin ne peut prendre que deux valeurs
possibles, qu'on appelle « up » et « down ».
Félicitations !
Vous venez d'acquérir les outils pour comprendre (au moins en
partie) l'intrication quantique!
Une histoire à l'eau de Rosen
« Deux
cœurs qui ont interagi dans le passé ne peuvent plus être
considérés de la même manière que s'ils ne s'étaient jamais
rencontrés. Marqués à jamais par leur rencontre, ils forment un
tout inséparable. » -Etienne Klein
Prenons deux électrons. (En fait peu importe ce qu'on
prend; l'effet marche tout aussi bien avec des photons, des atomes ou
des molécules. J'ai pris des électrons parce que maintenant vous
connaissez leur spin) Tous deux sont célibataires, vaquant
tranquillement à leurs activités... d'électrons. Puis un beau
jour, un physicien décide de réunir les conditions pour que ceux ci
se rencontrent. Qu'à cela ne tienne, nos deux compères s'en donnent
à cœur joie et se mettent à interagir physiquement! Enfin, comme
toute histoire d'amour qui se respecte, nos deux amants sont séparés
brutalement. Ce drame subatomique que vous venez de créer, on
l'appelle intrication quantique. Et c'est là que la magie opère.
Tenez vous bien : à présent, l'état quantique d'un électron
n'est complètement déterminé QU'EN considérant l'autre électron.
En d'autres termes, ils partagent le même état quantique, et cela
QUELQUE SOIT LA DISTANCE ENTRE EUX! En d'autres autres termes, la
mesure du premier électron modifie INSTANTANÉMENT l'état de
l'autre, même si ce dernier est à l'autre bout de l'univers!
Et là, si j'ai
bien calculé mon coup, vous commencez à vous dire, «Attends, mais
imagine que tu extrapoles ce concept, je sais pas encore trop
comment, ça pourrait faire un moyen absolument génial de
communication! Vite Eugène, au bureau des brevets !»
Si vous avez
effectivement pensé à ça, bravo ! Vous avez réinventé
l'Ansible !
L'An... Quoi?!
Ansible.
C'est le nom donné à ce concept hypothétique de communication
supraluminique. L'idée n'est pas nouvelle : on la doit
en premier à Ursula Le Guin, dans son roman Le Monde de Rocannon en
1966. L'idée a depuis été reprise dans de nombreuses œuvres
cultes de la SF, notamment dans la trilogie Ender d'Orson Scott Card
ou encore dans le cycle d’Hypérion, de Dan Simmons.
A ce que j'en sais,
la référence la plus récente à une ansible remonte au jeu vidéo
Mass Effect 2, qui fait d'ailleurs un job assez sympa dans la
description du bousin ! Je vous laisse juger par vous même...
Ça semble plutôt
plausible non ? Sauf qu'il y a visiblement quelque chose qui
vous dérange... Rassurez vous, vous n'êtes pas les seuls.
L'intrication quantique a dérangé pas mal de gens avant vous, à
commencer par un célèbre physicien moustachu à qui on doit
beaucoup...
Le paradoxe EPR
"Dieu ne joue pas aux dés"
-Albert Einstein
Einstein est
surtout connu pour ses théories de la relativité (restreinte et
générale). Grâce à elles, nous avons une description cohérente
des lois de l'univers qui nous entoure. Nous allons ici nous
restreindre à la relativité... Restreinte. Huhu... En particulier,
attardons nous sur son second postulat. Celui-ci indique que « La
vitesse de la lumière dans le vide est la même dans tous les
référentiels inertiels » (un référentiel inertiel étant un
référentiel dans lequel un objet isolé se déplace en ligne droite
à vitesse constante) Ce petit bout de phrase est extrêmement
important parce qu'il implique que la vitesse de la lumière est une
limite qu'il est ABSOLUMENT IMPOSSIBLE de dépasser !
Vous comprenez
alors à quel point l'intrication quantique chiffonne notre bon
Albert... En fait, ça le chiffonne tellement qu'il pense y avoir
trouvé la preuve que la mécanique quantique est incomplète !
En 1936, il va donc mettre au point, avec deux collègues, Boris
Podolsky et Nathan Rosen, une expérience de pensée qui jettera un
froid pendant quelques temps sur les bases de la quantique : le
paradoxe EPR (EPR pour Einstein-Podolsky-Rosen).
Son principe
(simplifié) est le suivant : prenez 2 particules (par exemple
un électron et un positron, son anti-particule -de même masse, mais
de charge opposée) et intriquez-les de telle façon que la somme de
leur spin s'annule (up+down=0). Ensuite laissez les s'éloigner très,
trèèès loin... Après intrication, on sait que les deux particules
sont de spins opposés. Mais attention ! Avant d'observer le
système, il est IMPOSSIBLE de savoir dans quel état il sera !
Par contre si on mesure l'état de la première particule, et qu'on
tombe sur un spin « up », on saura immédiatement que
l'autre particule sera dans l'état de spin « down ».
Problème : les deux particules sont super loin, alors comment
l'autre particule sait-elle immédiatement que la première est
passée dans l'état de spin « up », surtout quand on
sait que l'information ne peut pas aller plus vite que la vitesse de
la lumière ?
A partir de là, un violent débat éclate entre Einstein, partisan d'un univers déterministe et Niels Bohr, l'un des pères de la physique quantique, qui va durer toute leur vie ! Pour le premier, l'état des deux particules est déterminé avant la mesure et n'est que révélé par la mesure. Pour Bohr par contre, l'état est indéterminé avant la mesure et la mesure du spin du premier entraîne instantanément le changement de spin de l'autre.
Plus Bell la vie
« Une théorie nouvelle ne
triomphe jamais. Ce sont ses adversaires qui finissent par mourir. »
-Max Planck
Il faudra attendre
1960 pour que le physicien John Bell apporte ce qui est aujourd'hui
considéré comme l'une des plus grandes contributions à la
mécanique quantique : les inégalités de Bell. Grâce à
elles, ce qui a commencé par un débat purement intellectuel a fini
par avoir des conséquences bien vérifiables expérimentalement. Et
les expériences ont parlé ! La conclusion de tout ceci ?
Si la vitesse de la lumière est effectivement une limite
indépassable, on doit forcément admettre que deux particules
intriquées agissent comme un seul système, ce qui implique sa
non-localité. Il n'y a donc pas de relation de cause à effet entre
la mesure de la première particule et l'état de la deuxième.
Retenez bien cette notion, parce qu'elle est cruciale: LA MECANIQUE
QUANTIQUE EST NON LOCALE !
Gné?
Oui je sens bien
que je suis en train de vous perdre. Ça mérite quelques
éclaircissements. Le principe de localité, en physique, c'est le
fait que des objets ne peuvent être influencés QUE dans leur
voisinage le plus proche. Si vous vous fichez éperdument du temps
qu'il fait sur Vénus, félicitations ! Vous êtes un parfait
exemple du principe de localité.
Dans le cas qui
nous intéresse, la non-localité de l'action de l'intrication
quantique signifie que celle-ci ne décroit pas avec la distance,
contrairement à toutes les autres phénomènes physiques. Elle
semble donc aller plus rapidement que la lumière, mais c'est juste
une mauvaise manière d'interpréter les choses.
Si vous avez du mal
avec la non-localité, c'est absolument normal. Comme le disait Roger
Penrose, « il y a un conflit entre notre image
spatio-temporelle de la réalité physique -même l'image quantique
non-locale qui est correcte- et la relativité restreinte. » Et
puis surtout, comme la plupart des questions en sciences, ce problème
est loin d'être réglé...
Mais alors, pourquoi qu'elle marche pas mon idée d'ansible?
En apparence,
l'idée a l'air bonne : vous intriquez deux particules, vous en
donnez une à votre lointain correspondant, vous jouez sur le spin
des particules pour envoyer des messages en binaire (up=1 et down=0
par exemple) et TADAAAA ! Vous avez votre communicateur
instantané ! Ben en fait non, ça ne marche pas comme ça.
Parce qu'avant de mesurer le spin d'une particule, il n'y a
littéralement AUCUN moyen de savoir dans quel état il est. Pour un
électron, vous aurez 50% de chance de tomber sur un spin « up »,
et 50% de chance de tomber sur un spin « down », et la
même chose pour le correspondant, sinon c'est pas drôle. Et comme
en effectuant une mesure sur la première particule, on finit par
déranger les deux en même temps (ils forment un système unique,
vous vous rappelez?), il se trouve que finalement c'est pas super
pratique pour communiquer...
Et pour remuer le couteau dans la plaie, si on oblige une particule à se mettre dans un état particulier, notre paire de particules n'est tout simplement plus intriquée, à cause d'un phénomène appelé décohérence. Arf...
Au final, la
réalité finit par briser une fois de plus nos rêves de
communication supraluminiques... Mais il ne faut pas en conclure que
l'intrication est inutile ! Au contraire, il se pourrait bien
qu'elle soit au cœur de projets aux noms aussi géniaux que
téléportation quantique ou ordinateur quantique ! Il existe
une probabilité non nulle pour que je vous en parle bientôt...
(Mais je ne vous ai rien dit... )
Article originellement posté sur Beebac: http://www.beebac.com/publication/58681/lintrication-quantique-ou-le-reve-de-la-communication-instantanee
Pour en savoir plus:
- L'inévitable article de Wiki: http://fr.wikipedia.org/wiki/Intrication_quantique
- L'article qui a inspiré cet article (en anglais): http://io9.com/5584356/can-i-build-an-ansible-to-communicate-across-the-cosmos
- La page Wiki du paradoxe EPR: http://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_EPR
- Un article de Futura sciences qui résume pas mal l'idée du paradooxe EPR: http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/physique-1/d/paradoxe-epr-des-signaux-plus-rapides-que-la-lumiere_16428/
- Pour les gens qui en veulent vraiment et qui sont déjà familiers avec la physique quantique: http://catalogue.polytechnique.fr/site.php?id=87&fileid=476
- Un très bon texte assez accessible sur la non-localité: http://www.asmp.fr/travaux/gpw/philosc/rapport2/3-Bricmont.pdf
- La mécanique quantique pour les non-physiciens: http://www.sps-philoscience.org/fichiers/pdf/2007_bricmont-mq1new.pdf
- Sur la décohérence: http://www.cnrs.fr/Cnrspresse/n34a2.html
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