mercredi 21 janvier 2015

"Connais-toi toi-même" - Chapitre 1 : Intro(spection)



 Je me suis levé ce matin en me demandant qui j'étais. Dans les limbes, lové dans la bulle rassurante de la routine matinale, la question semble incongrue. J'interroge mon miroir. Je me rassure en invoquant mon nom, comme une évidence. Problème réglé, retour à la douce berceuse des habitudes. Mais le soulagement ne dure pas bien longtemps. Quelque chose ne va pas. Plus j'y réfléchis, plus le problème semble persister. Je mets un moment à comprendre. Et là, ça me frappe : je suis pris en flagrant délit de raccourci intellectuel. Le fait de me définir par mon nom ne m'apprendra rien sur ma nature profonde, de la même façon que de savoir que le nom scientifique du caméléon panthère est Furcifer pardalis ne m'apprendra rien sur la manière dont il change de couleur. Honteux, je ravale mon arrogance. Est ce que je l'ai seulement jamais su ? Je ne suis plus sûr de rien. Non sérieusement, je suis qui bordel, je suis quoi, quels sont les liens que je tisse avec l'univers, qu'est ce que je fous là, à cet instant, à parler à mon miroir ? En pleine crise identitaire, je ressens un besoin irrépressible de faire le point.

Je me suis levé ce matin en me demandant qui j'étais. Et voici ce que j'en sais... 

Je pèse donc je suis

 Je suis. J'existe. Ça je peux difficilement le nier. C'est le point de départ. Pour savoir pourquoi j'existe, je dois tout reprendre depuis le début. Pour faire un univers, prenez de l'énergie, 4 forces fondamentales, une vingtaine de constantes fondamentales qui vont déterminer des broutilles comme la vitesse de la lumière ou l'intensité relative des différentes forces, un soupçon d'inflation cosmique, un brouhaha de particules subatomiques surgissant dans l'existence à des énergies données, de la matière noire et de l'énergie sombre, votre ingrédient secret. Faites en sorte que vos constantes permettent l'apparition de la complexité. Peut être n'aurez vous même pas le choix... Comprimez le tout dans un point minuscule et laissez refroidir plusieurs milliards d'années. Votre univers gonfle, emporté dans la course de l'espace-temps. Des grumeaux apparaissent. Grumeaux qui deviennent toile cosmique. Galaxies. Etoiles. Planètes. Vie. Au bout de 13,8 milliards d'années, votre univers s'éveille et tente de comprendre sa propre existence. Dégustez pendant que c'est encore ordonné.
Voilà. 13,8 milliards d'années d'évolution cosmique vous donnent littéralement... Matière à réflexion. Oh ce n'est vraiment pas grand chose. A peine un murmure dans l'immensité cosmique. Une réalisation de l'énergie primordiale, persuadée d'exister. Mais capable, à elle seule, de créer des univers...

Fils des étoiles

  Remontons le fil de ma ligne d'univers. Il y a 13,8 milliards d'années, je n'étais encore que pure énergie. Mouvement. Chaleur. J'étais là. Quelque part. Partout. Sans le savoir. Pendant un bref instant, j'étais Un. J'étais Tout. J'étais... "Qi" ? Progressivement l'énergie devient matière, qui à son tour libère son énergie. Je deviens gaz homogène d'atomes d'hydrogène, baigné par la lumière primordiale. La matière autour de moi s'organise en nuages. Je ne résiste pas, attiré inexorablement par la force de la gravité. Tout devient plus dense. Et chaud. Si chaud. La répulsion électrostatique, qui sépare d'ordinaire chaque atome de ses voisins, ne suffit plus à les tenir à l'écart. Je fusionne. 4 atomes d'hydrogène donnent un atome d'hélium. La réaction produit une quantité phénoménale d'énergie. Tout s'éclaire à présent ! Je suis devenu une étoile. Dans mon coeur, la pression est telle que les protons s'accumulent. De nouveaux éléments naissent, de plus en plus lourds. De l'oxygène qui circulera un jour dans mes veines au calcium qui formera mes os, tous les atomes qui me constitueront seront créés ici, dans mon coeur d'étoile. Mais cette naissance est aussi un signe, un signe que ma vie d'étoile arrive à son terme. Des milliards d'années durant j'ai lutté pour pouvoir conserver ma forme. L'énergie produite en mon sein, en poussant sur les couches de gaz, suffisait jusqu'alors à contrer l'effet de la gravité. Un équilibre délicat. Mais ma réserve d'hydrogène s'est finalement épuisée. La gravité reprend alors le dessus. Tout se joue en une fraction de seconde. Mon noyau s'effondre brusquement sous son poids. Les couches externes de gaz, qui n'ont rien vu venir, se jettent sur le noyau mis à nu, puis rebondissent, comme repoussées par un mur indestructible. La carapace de mon coeur explose, libérant les précieux éléments qui essaiment l'univers... Un astre, désastre.
Je ne sais pas combien de temps j'ai dérivé ainsi dans l'espace. J'ai fini par être capté par la gravité d'un soleil voisin. Sa chaleur est rassurante. Il est encore jeune et fougueux, mais entouré d'un disque de poussières tout à fait charmant. Je mèle mes atomes à ce dernier. Entraîné dans le grand manège cosmique, j'orbite, je m'agglutine avec mes voisins. Plus je deviens lourd, plus j'attire la matière autour de moi. Petit à petit je prends la forme de blocs rocheux. De tas de caillous. De planète. Mes futurs habitants m'appelleront... Terre.

[A suivre...]

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